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Projet lauréat du Mentorat Photographique du Fonds Régnier avec l'Agence VU' MP05
Se souvenir du soleil gris
J’ai quitté Forbach, une petite ville du bassin minier lorrain, en 2017. Je suis parti dans la précipitation, après une dernière année passée à errer dans cette cité qui m’avait vu grandir. J’étais déscolarisé. Ma copine de l’époque venait tout juste de me quitter. Je passais mes journées alité entre quatre murs, mes soirées sur des parkings et mes nuits à boire et à fumer.
Je suis parti avec cette douleur : laisser derrière moi les personnes qui peuplaient mon adolescence et les lieux qui en abritaient les souvenirs. Une adolescence infiniment libre, détachée du monde social et de ses déterminismes. Je refusais de voir ce passé enfoui ou dispersé dans le flot discontinu de la vie d’adulte qui m’attendait. J’ai voulu honorer la promesse que je m’étais faite un jour – un soir probablement –, arrachée sur un terrain vague avec ma bande de copains : celle de ne jamais oublier qui l’on était, de laisser perdurer quelque part cette version de nous.
Alors, à partir de 2017, j’ai pris des notes. J’ai listé cliniquement les souvenirs qu’il me restait. Un passé rempli d’anecdotes, d’excitation, de vibrance, d’histoires incomplètes, tronquées, peu importe. Les réminiscences sont de ces natures-là. Je me laissais absorber par l’ambivalence de la nostalgie envers une époque que l’on chérit mais dont on n’aperçoit que plus tard toutes les failles.
Puis j’ai commencé à photographier. J’ai voulu entrer en relation avec mon histoire. Parallèlement j’ai repris la masse des notes rassemblées naguère, seul face à ce deuil que je m’obstine à élucider, et je les ai retravaillées pour en faire un récit (roman à paraître en 2026). C’est à ce moment-là que la photographie est devenue opaque, insaisissable. Elle avait soudain perdu son pouvoir sur moi.
Comment photographier ma ville ? La question m’a taraudé pendant des mois. Aucune réponse ne s’imposait comme je l’aurais aimé. Aucune photographie ne me soulageait. Plus d’évidences. Un grand flou. Je traversais la ville et le temps s’écoulait. Et puis, j’ai cessé de chercher. J’ai accepté le gouffre, l’impossibilité de revivre le passé.
Je m’approche alors des autres, de ceux qui me rappellent mon histoire. Je retourne sur des lieux, je photographie des espaces qui éveillent souvenirs et associations poétiques. Ce sont des espaces sans effet spectaculaire : des parkings enneigés, des arbres, des murs, ils me parlent. Ils se lient à mes écrits pour créer un dialogue à travers le temps. Les photographies volontairement fragmentaires agissent comme des souvenirs, vaguement inquiétants, étrangement réconfortants.
Plus j’avance, plus j’écris, plus je photographie, et plus la douleur s’efface, comme un rêve qui perd de sa substance au réveil. Je creuse un trou dans lequel je laisse tout ce qui me hante. Ça fonctionne.
Exposition 2025 - Galerie VU', Paris
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